Tighfert, Morocco
Aperçu
De par ses caractéristiques culturelles et naturelles originelles, l’oasis de Tighfert s'inscrit dans un territoire riche en potentialités de développement (agriculture oasienne, écotourisme, artisanat local). De manière générale, les systèmes oasiens, en place depuis des millénaires, représentent des niches écologiques importantes bénéficiant d’une grande biodiversité animale et végétale.
Mais celles-ci sont actuellement fragilisées et gravement menacées par les évolutions de la vie contemporaine. Les recommandations de toutes les études portant sur les oasis indiquent l’urgence des interventions en faveur de la sauvegarde et et de la protection de la biodiversité de ces écosystèmes. L'enjeu est donc de trouver comment agir pour contribuer à leur conservation dans un monde en perpétuel mouvement tout en répondant aux aspirations des habitants de ces territoires.
Emplacement et climat
L’oasis de Tighfert (Coordonnées lombaire : 31.52°N, 5.03°W) est située dans la commune territoriale de Ferkla Essoufla (Province Errachidia, Région Draa Tafilalt) entre les deux grands oueds des zones de Tanguarfa au Nord et de Ferkla au Sud. Sa superficie est de 1,27 Km2 (127 ha) dont 80 ha représentent la superficie irriguée selon la Jmaâ. L’oasis de Tighfert compte actuellement plus de 2053 habitants répartis sur 293 ménages et se compose de sept (7) fractions ethniques, toutes Amazighes, qui composent la structure de la communauté. Les précipitations, ici, ne dépassent guères les 100mm/an en moyenne et les températures sont basses en hiver et élevées en été (jusqu’à 50°C). En ce qui concerne, les ressources en eau, quasi exclusivement d’origine souterraine, elles sont mobilisées par l’utilisation d’une méthode ancestrale dite Khettarat[i]
La gouvernance
L’oasis de Tighfert est divisée en trois étages : le premier étage est occupé par les palmiers dattiers, le second par les arbres fruitiers et le troisième par le fourrage-maraichage. Un modèle de gouvernance locale, a été développé par la communauté locale où la prise de décision au sujet de la gestion des terres et des ressources en eau est collective et participative depuis la nuit des temps.
Une intervention marquante de la part du FEM PMF- PNUD et de leurs partenaires au Maroc a mis en lumière le rôle des communautés locales dans la conservation de la biodiversité. En effet, l’oasis de Tighfert, faisant partie de l’oasis de Ferkla a été identifiée comme étant une Aire et Territoire du Patrimoine Communautaire (APAC).
Les menaces
Les menaces naturelles:
- Salinisation de l’eau et du sol;
- Sécheresse : diminution des productions, et du niveau des nappes phréatiques ; mort des arbres et des animaux ; érosion éolienne et hydrique;
- Invasion des criquets pèlerins;
- Invasions des microorganismes pathogènes;
- Invasions des plantes envahissantes issues des eaux de crues.
Les menaces anthropiques:
- Déclin du modèle économique du système oasien qui n'assure plus le niveau de vie souhaité;
- Exode rural, tout particulièrement de la part de la jeunesse;
- Négligence dans l'entretien des infrastructures hydroagricoles et notamment la Khettarat et les canaux d’irrigation;
- Pompage excessif surtout en amont;
- Recul des pratiques culturelles;
- Urbanisation incontrôlée dans les terrains agricoles;
- changement d'utilisation des foncier;
- Conflits;
- Recul de la cohérence de la vie sociale;
- Changement climatique.
Gouvernance et gestion de l'eau
L’agriculture est jusqu’à aujourd’hui la principale activité économique dans cette oasis, à l’image de la majorité des oasis du Sud-Est du Maroc. Les oasis sont des agro-systèmes originaux fondés sur des interactions équilibrées entre l’Homme et le milieu, dans un environnement aride à désertique très hostile. La communauté de Tighfert, entièrement Amazigh, a organisé sa vie autour de la ressource eau, très rare et précieuse, et bien souvent lointaine. La communauté locale a développé une technique ingénieuse de mobilisation de l’eau souterraine dite Khettarat, qui permet de mobiliser de l’eau sur une distance de plus de 10 km plus loin en amont jusqu’à l’oasis. (Figure ci-dessous). Celle-ci constitue la force de cette communauté.
La khettarat de Tighfert est d’une longueur de plus de 10km. Son débit varie selon la pluviométrie. Il peut être important durant les années pluvieuses (≈ jusqu’à 40 l/s) et faible (3 l/s) durant les années de sècheresse.Actuellement, il est plus de 7 l/s. La superficie irriguée est entre 10 à 15% du potentiel existant qui avoisine les 80 ha. Le tour d’eau est de 12 j.
La gouvernance de l’eau par la communauté est plurielle (Taqbilt ou Lajmaat.[i]). Le droit coutumier (Azerf-Al Orf [ii]) est transmis de génération en génération et constitue de ce fait un véritable dispositif réglementaire interne à cette communauté. Le droit d’eau donne tout d’abord un droit d’accès à la ressource eau provenant de la Khettarat et définit également la quantité d’eau dont l’ayant droit dispose. En matière d’irrigation, la tâche de mise en vigueur des prescriptions, héritées du passé ou délibérées par Lajmaat (ou le conseil de la tribu), est confiée au soin d’une personne qui s’appelle Amghar n’Waman (le cheikh de l’eau) qui est chargée, entres autres, de distribuer les parts d’eau selon un système de mesure dit Tanast.
Les droits se répartissent le long de la journée et de façon cyclique selon des périodes définies, souvent en fonction de la prière (Lfajr (première prière -avant le levée du soleil-), Ankerr (levée du soleil), Tizouarine (dohr), Laasar, Tinwoutchi (Lamghrareb), Tinyittsse (Laacha), Minuit.
Cette Khettarat de Tighfert assure le maintien des modes de vie ancestraux et couvre les besoins de la communauté locale en eau, nourriture, énergie, fourrage, revenus. L’existence et le fonctionnement de cette technique hydraulique ingénieuse permettent tout particulièrement, de conserver des savoirs ancestraux et jouent un rôle de filet de sécurité lors de périodes de stress et de besoins accrus. Elle constitue une fondation de l’identité culturelle et à une forme de fierté, renforçant par la gouvernance locale, les droits et responsabilités de la population locale sur les terres et les ressources naturelles.
En plus de l’eau mobilisée par la Khettarat, l’oasis bénéficie également, pour l’irrigation, d’un potentiel hydraulique de 6 m3/s d’eau des eaux provenant des crues de l’Oued Tangarfa, à travers un canal de dérivation d’une longueur qui avoisine 4 km, d’une largeur de 3 m et d’une hauteur de 2 m. L’entretien et l’aménagement de la Khettarat, des canaux, se font par le Had Sayem [1] où tous les hommes de la communauté qui ont atteint l’âge de jeûner doivent participer aux travaux. Les femmes, quant à elles, préparent des repas et de l’eau aux travailleurs.
Agriculture
Concernant la gestion des sols, la communauté locale a développé ici des pratiques non agressives vis à vis de la terre en apportant annuellement du fumier, pratiquent l’assolement, la jachère et l’alternance des cultures en plus de la production et la conservation des semences.
L’entretien et le nettoyage de la palmeraie des plantes envahissantes est souvent une tâche effectuée essentiellement par la femme. Elle assure également le travail et le stockage des productions agricoles destinées soit pour la famille (datte, blé, orge, maïs, ...) soit pour le bétail (luzerne, avoine, déchets des dates, maïs, etc.).
Le palmier dattier et notamment la variété Azegza[i] représente l’activité centrale de cette oasis. L’autre activité agricole phare est l’élevage de la brebis locale dite race D’Man[ii] qui est connue pour sa grande reproductivité et sa capacité résiliente face aux conditions climatiques difficiles. L’élevage de la poule pondeuse est une opportunité qui permet aux femmes de satisfaire une partie de leurs besoins basiques et de ceux leur famille.
Artisanat
L’artisanat a toujours été une activité exercée, pour satisfaire les besoins de la communauté. Il s’agit du tissage (les Djellabas, les tapis, etc.), de la confection avec les folioles des palmes du palmier dattier de cordes, de couffins (Koffa[i] et des Mkabs[ii], Tisswit [iii] et d’ustensiles culinaires avec le bois de Tamaris (cuillères, bols de soupe, Tezlaf[iv]t, etc.). La communauté a produit également pour les habitats, des portes, poutres, fenêtres, armoires, placards, valises, etc, et pour l’agriculture, des outils spécialisés qui sont notamment : Tamgourt, Lmazbert, Amgor, (des sortes de faucille à scie), Lmessha (la houe), etc.
Coopératives féminines
Nous pouvons également noter que ces dernières années, les femmes de cette communauté ont pu faire évoluer leurs activités en créant des coopératives. Celles-ci produisent désormais différentes variétés de semoules (couscous, Lamhammssa), des piments, des jus et sirop de dattes molles, du café à partir des noyaux des dattes, etc. L’oasis de Tighfert apparait comme un excellent exemple de la diversité bioculturelle (diversité biologique et diversité culturelle et les interactions entre elles).
Support et inscription ICCA
Le soutien du PMF FEM – PNUD à cette communauté, à travers l’AOFEP, s’est fait par le renforcement des capacités, notamment des jeunes afin d’assurer le transfert intergénérationnel et donc la continuité de la défense de leur territoire. Le projet a aussi soutenu et renforcé la gouvernance locale et a établi un plan de gestion ainsi qu’une charte de cette APAC. Une formation sur la communication et le plaidoyer pour être capable d’œuvrer à la reconnaissance et à la conservation de leur APAC a également été réalisée. De plus, le projet a permis aussi à la communauté et ses associations de partager leur expérience avec les autres APAC aux niveaux local, national, régional et mondial.
[1] Khettarat : Système hydraulique ancien de mobilisation des eaux souterraines à partir de la nappepar gravité et sans énergie
[1] Taqbilt oulajmaat en Tamazight, c’est la Jmaa
[1] Azref : ALorf c’est le droit coutumier chez Imazighn
[1] Azgza : mot en Tamazight qui veut dire le vert
[1] Brebis local endémique des oasis
[1] Koffa : mot aarabe : c’est un sac confectionné à partir des folioles des palmes
[1] Mkab : mot amazigh : ce sont des couffins en palmes
[1] Tisswit : mot amazigh Couffin pour travailler la semoule et nettoyer du blé, pour conserver le pain, etc.
[1] Tezlaft : mot amazigh qui outils à plusieurs fonction en bois de tamarix 5travail de la Semoule, pour le repas de couscous, etc.
Cette étude de cas a été initialement publiée par le PNUE-WCMC en 08/20. Le contenu a été fourni par les gardiens de cette APAC. L'ICCA a été auto-déclarée et n'a pas encore été soumise à un processus d'examen par les pairs pour vérifier son statut. Plus de détails sur ce processus peuvent être trouvés trouvés ici. Le contenu de ce site Web ne reflète pas nécessairement les vues ou les politiques du Programme des Nations Unies pour l'environnement ou du WCMC.